"Le premier animal domestique d'Adam après l'expulsion du paradis fut le serpent."
Franz Kafka Préparatifs de noce à la campagne.
Lorsqu'il y a une quinzaine d'années, Pierre-Dominique Blind me téléphona depuis Abidjan pour me soumettre un projet de sujet en bouteille, j'étais loin d'imaginer dans quelle curieuse "expédition" il allait m'entraîner.
Après s'être présenté comme un collectionneur d'objets en bouteille, il me confia souhaiter me voir réaliser son portrait occupé à capturer un python dans la forêt tropicale ivoirienne.
Chasse au python Sebae en forêt de Bonoua, Côte d'Ivoire.
D'aucuns auraient pu voir dans cette demande inattendue une petite manifestation d'égotisme, j'y ai trouvé une idée très originale, riche en possibilités de composition, mais aussi l'occasion offerte de concrétiser un vieux rêve d'enfant : refaire - en changeant de continent toutefois - la forêt "palombienne" qu'André Franquin à dessinée dans sa BD des années 60 : Le nid des Marsupilamis qui a enchanté mes dix ans. Forêt primaire exubérante que je n'ai vraiment connue que par ce biais.
Quelques temps après son appel, en vacances entre deux campagnes de cacao, il vint à Forges-les-Bains avec sa compagne Helen, leur tout jeune fils Maveric, et aussi... un pangolin naturalisé, une mangouste, un perroquet du Gabon - ces deux-là bien vivants et dûment munis des certificats sanitaires et administratifs nécessaires à leur entrée en France - plus une encyclopédie par l'image des animaux et végétaux qui composent la forêt humide africaine. J'oubliais : un grand flacon ancien d'apothicaire d'environ 20 cm de diamètre sur plus cinquante de hauteur.
Séance de pose dans la cour.
Un après-midi consacré à détailler et lister le décor dans l'encyclopédie : un marigot, un fromager envahi de lianes, des orchidées, des lichens et autres épiphytes, des fougères, des ficus, des palmiers, des iconias, des dragonniers, des strélizias-oiseaux du paradis, des arums, des mousses ... Pour le règne animal : des libellules, des papillons, trois gros scarabées goliaths, des araignées, une bande de singes, une autre de perroquets gris, des reinettes, un crocodile, un pangolin, une mangouste qui provoque une vipère du Gabon, et, coiffant la canopée, un groupe de hérons garde-boeufs au repos.
Cet inventaire à la Prévert se clôt par les principaux sujets : le chasseur et sa cible : un python Sebae de quelques sept mètres de longueur.
Une séance de poses photos dans la cour, un pied sur la margelle du puits, simule et fixe "CrocoBlind Dundee" un pied dans le marigot, l'autre sur une racine du fromager, une main tendue munie d'une fourche, l'autre prête à saisir le reptile par le cou pour le capturer et le loger dans le sac à dos.
Réalisés en une résine bi-composants originairement destinée à réparer les canalisations, les deux serpents sont modelés rapidement après le malaxage des deux pâtes. Le durcissement complet s'effectuant en environ un quart d'heure, le python, allongé, est enroulé autour d'un bois mort au moment précis ou la pâte est devenue assez ferme pour perdre sa mollesse, mais pas encore cassante. L'on dispose alors de trente secondes à une minute pour l'enrouler de façon à ce qu'il garde cette courbure caractéristique, à la fois souple et nerveuse, donnée au serpent par sa structure vertébrale et sa musculature. Un vernis recouvre enfin la peinture des ocelles.
Naturellement, Pierre-Dominique de capturait pas vraiment de python d'une aussi grande taille, très dangereux, capable d'avaler une antilope, voire un être humain.
Les africains prisent sa chair et le capturent selon une méthode ancestrale : un homme introduit sa jambe enveloppée d’un bandage de tissus protecteur dans le repère souterrain du python. Il la laisse avaler jusqu’au dessus du genou par le python provoqué dans son refuge, ses collègues le remontent alors avec à sa suite le reptile fermement accroché, incapable de lâcher sa proie. Après la mise à mort de l’animal, l’ «appât» vivant est libéré, non sans garder parfois les séquelles d’un début d’attaque par les sucs gastriques du serpent.
Je devais encore attendre quelques années avant de pouvoir sentir la froideur suave et langoureuse de l’indolent reptile allongé sur mon bras. Il venait de dédaigner le rat de laboratoire qui constituait son repas mensuel. D'une taille beaucoup plus modeste : un bon mètre tout de même, l'animal dormait d'ordinaire lové paresseusement dans un grand plat à tagine marocain qu'il emplissait entièrement, telle une ligne de pêche à la baleine soigneusement glénée en spirale dans sa baille, si j’ose la comparaison, ne montrant que sa tête par le trou demi-rond découpé sur la lèvre inférieure du grand cône de terre-cuite.
Une grande quantité de végétaux naturels entrent dans cette bouteille. Tous sont profondément imprégnés d'un vernis du genre nitro-cellulosique afin de leur garder une souplesse suffisante pour éviter qu'ils ne se brisent ou s'émiettent pendant le montage, mais aussi d'empêcher l'apparition ultérieure de moisissures et l'attaque de bactéries. La brillance du vernis omniprésent reproduit la moiteur de ce milieu saturé d'humidité.
Personnage et animaux sont constitués d'un squelette en fil de laiton recouvert d'un mastic à base de résine époxy chargée. Le fil se prolonge sous les pieds et les pattes pour pénétrer dans le support. Pour le singes et les oiseaux, les pattes enserrent fermement les plus fines banches et les lianes. Le collage ne sert, en dernier lieu, qu'à bloquer ces assemblages.