La Nef est une allégorie de la quête périlleuse et exaltée des richesses convoitées au tournant du XVe siècle aux confins des Nouveaux Mondes : les Indes Orientales et Occidentales.
«…Ivres d’un rêve héroïque et brutal…»
José Maria de Hérédia Les Conquérants
Simon Leys dans son anthologie "La mer dans la littérature française" relève qu’au poète Arthur Rimbaud : « Homme libre toujours tu chérira la mer ! », le navigateur Eric Tabarly semble répondre : « Aux doux rêveurs qui s’imaginent trouver la liberté en mer, je leur suggère de chercher ailleurs ».
Conçu à la manière des pièces d’orfèvrerie de culte et de table des maîtres européens de la Renaissance dont l'art fut relancé par l'afflux massif d'or et d'argent du Mexique et du Pérou, l'objet est entièrement composé de matériaux précieux issus de tous les continents et des fonds océaniques. Or, argent, pierres fines et précieuses, bois exotiques, ivoire et écaille (anciens de réemploi), perles, nacre, ambre, écume de mer, monnaies et micro-monnaies - européennes et asiatiques - d'époque et même d'épave, soie, parchemin... Il n'y manque guère que les épices et leurs parfums ensorcelants, mais rien n'est parfait.
Honneur au grand précurseur, le vénitien Marco Polo, le flacon est en verre artistique de Murano signé Alberto Matiello, dit Geremia.
Authenticité, symboles, mythes et exagérations se mêlent à l'instar de l'imagerie contemporaine des premières navigations océanes.
Une nef ardente emporte le trio, un pilote espagnol, un hidalgo et un missionnaire, porteurs de tous les malheurs qui vont déferler involontairement ou délibérément sur les natifs et les décimer, voire les exterminer : maladies contagieuses, guerres de conquêtes, déportations, asservissement, acculturation. Poussé par les alizés, guetté par un sournois récif de corail rouge qui dissimule son support, le navire est entouré de monstres marins, hantise du navigateur devant l'inconnu océanique et gardiens vigilants d'un coffre au - véritable - trésor en miniature. Des joyaux répandus sur le sable entourent les restes d'un pirate, crâne d'ivoire en Vanité et sabre d'abordage.
La symbolique s'inscrit en exergue à la sanguine sur le pavillon d'or : "Pro Auro, auxilio Dei et per gladium, sic transit gloria Novi Mundi". "Pour l'Or, grâce à Dieu et par l'épée, ainsi passe la gloire du Nouveau Monde", détournant au passage la célèbre phrase qui était lue au Pape le jour de son intronisation pour le préserver des tentations de la puissance et du pouvoir.
La classique clavette, (voir la page sur l'histoire des objets en bouteille et celle consacré aux seules clavettes)comprend une boussole (fonctionnelle) incluse au centre d'une rose des vents en nacre, corail rouge, lapis lazuli et turquoise de californie. L'ensemble mobile monté à la Cardan est aussi un "mât de cocagne" où un escudo d'or du Pérou frappé "Charles et Jeanne" (Charles 1er-Charles Quint et sa mère Jeanne dite "la folle", 3.53 gr.) attend d'être cueilli.
Une croix pattée en ivoire constitue la véritable clavette qui bloque le bouchon en s'appuyant vers le haut sur le dôme de verre. Un bouchon décoratif chapeaute l'ensemble, coiffé d'une fleur funèbre, un cabochon de diopside étoilé noir qui laisse apparaitre, sous lumière vive, une croix mortuaire argentée à quatre branches.
Cette bouteille est dédiée à mon regretté ami Pierre-Dominique Blind qui en fut l'inspirateur.