Anniversaire et souvenir.
Restauration d’un modèle du Pourquoi-Pas ? en bouteille réalisé à bord en Antarctique en 1909 par le matelot J.Guéguen.
Le Pourquoi-Pas ? en bouteille désormais de retour dans le bureau des Docteurs Charcot père et fils à Neuilly. Cliché G.A.
«Un tout petit bateau dans une toute petite bouteille
pour une toute petite Monique»
J. Guéguen, matelot du Pourquoi-Pas ?
Le 15 août 1908, le Pourquoi-Pas ? flambant neuf appareille du Havre pour sa première mission en Antarctique. La jeune épouse de Jean-Baptiste Charcot, Marguerite Cléry (Meg pour les intimes) l’accompagne jusqu’à Punta Arenas dans le détroit de Magellan d’où elle rentre en France retrouver leur fille Monique née en décembre 1907, tandis que l’expédition fait route vers la terre de Graham. L’enfant ne connaitra son père que par une photo que sa mère lui montre et qu’elle embrassera quotidiennement jusqu’au retour de l’expédition à Guernesey en juin 1910.
Le départ du Pourquoi-Pas ?, la petite Monique est confiée à sa nourrice par ses parents. © Anne-Marie Vallin-Charcot.
Au même moment, à 15000 km de là, l’équipage a dû renoncer à trouver un abri sûr au sud dans les parages de la terre de Graham, de l’île Adélaïde et de la terre Alexandre 1er, encombrés de glaces flottantes. Le Pourquoi-Pas ? remonte vers le nord jusqu'à une petite baie de l’île Petermann déjà abordée le 1er janvier et baptisée Port-Circoncision en raison de la fête de la circoncision du Christ (* voir en bas de page). Les hommes y vivent de février à novembre 1909 un hivernage long et éprouvant. Avec un temps exceptionnellement doux, le grand froid sec attendu n’est pas au rendez-vous. La mer reste longtemps libre, les ouragans se succèdent, la houle et les glaces pénètrent dans le petit havre et éprouvent durement le navire, ses chaînes et ses amarres ; un iceberg brise le gouvernail, le scorbut et les rhumatismes atteignent certains des hommes et leur chef.
Le Pourquoi-Pas ? dans un mauvais pas peu avant son arrivée en Antarctique. © Anne-Marie Vallin-Charcot.
Les menus des jours de la Sainte Monique 1909 et 1910 et fleurs séchées de l'Antarctique. © Anne-Marie Vallin-Charcot
Observations scientifiques, travaux divers et loisirs sont organisés sans relâche pour maintenir le moral. Mais laissons raconter Jean-Baptiste Charcot : «Les hommes s’amusent beaucoup à la construction de modèles réduits de bateaux de tailles diverses, mais actuellement, la mode est aux bateaux enfermés dans des bouteilles. Cholet est le grand maître et nous a fait l’autre jour une démonstration de la méthode et de l’adresse avec laquelle, en un temps très court, il introduit par le goulot étroit la coque et le gréement abattu, puis redresse le tout avec un petit crochet. Pour l’embarrasser, nous lui avons donné un flacon de petites dimensions ; le lendemain, il nous le rendait avec un trois-mâts carré ! Liouville, alors lui remettait un minuscule flacon de pharmacie, et Cholet, gravement, mais triomphalement, le rapporte contenant une baleinière armée à quatre avirons», et puis un jour… «Quelques hommes, le 4 mai, se sont souvenus que c’était la Sainte Monique, jour de la fête de ma petite fille, et J. Guéguen m’apporte, comme il me le dit, «un tout petit bateau dans une toute petite bouteille pour une toute petite Monique».
Cette attention émouvante reflète bien l’affection de l’équipage pour son commandant et la tendresse qui pointe sous la cuirasse du dur marin rompu à affronter les pires conditions du voyage.
De par ce geste, ce petit ouvrage du matelot J. Guéguen, vétéran de l’expédition du Français, le premier voilier d'exploration de J.B.Charcot dans ces mêmes parages en 1903-1905, acquerra dans la famille une grande valeur affective qui se transmettra naturellement aux petits enfants.
Dessin G.A.
« Tout le monde sait que le verre est fragile »
Le maître d'hôtel du Pourquoi-Pas ?
Le 5 décembre 1909, le Pourquoi-Pas ? libéré des glaces repart et fait escale, avant de reprendre son voyage vers le sud-ouest, à l’île Déception où le baleinier usine Gobernador Bories l’attend pour le ravitailler en charbon et lui donner le courrier très attendu. En remerciement, J.B. Charcot invite à diner le responsable norvégien de la compagnie baleinière M. Andresen et son épouse. Lorsqu'il sétonne de ne plus trouver que «deux verres et cinq coupes à champagne sur les quelques douzaines embarquées à Punta Arenas», le maître d’hôtel lui répond tout de go que «Tout le monde sait que le verre est fragile !». Cette savoureuse petite anecdote pour introduire que, bien des années plus tard, une fortune de terre, comprenez un accident malencontreux, viendra entacher d’une brisure irréparable l’attachement qu’Anne-Marie Vallin-Charcot, fille de Monique, portait à la petite bouteille.
Irréparable … ? Regardant le voilier conservé depuis l’accident collé sur un socle sous vitrine, elle ne se consolait pas de cette petite déchirure du souvenir. Elle souhaitait lui restituer son écrin originel.
Devant le faible espoir de retrouver aujourd’hui un flacon identique à l’original, elle a retenu la solution de la réalisation d’une fiole neuve, aussi semblable que possible à l'originale.
Elle se souvenait qu’il ressemblait à un petit flacon de pharmacie, probablement extrait de celle du bord ou du laboratoire scientifique dont le Pourquoi-Pas ? était équipé. Les dimensions du voilier permettent d’en déduire avec précision les principales cotes intérieures. Plusieurs esquisses inspirées de modèles d’autres dimensions lui sont proposées, et celle d’entre elles qui s’approche le plus de son souvenir - une forme oblongue - servira de base pour le dessin.
Démontage et restauration du voilier.
La mer, constituée d’une matière blanchâtre armée d’un tulle à larges mailles ressemble à de la bande plâtrée. Elle a conservé l’empreinte de la courbe du verre dont elle s’est désolidarisée nettement. Seules apparaissent les traces dues au collage sur le support de remplacement en bois recouvert de velours bleu. Rigidifiée de longue date, sa réintroduction dans le flacon nécessite un tronçonnage longitudinal de manière à en réduire la largeur au diamètre du nouveau goulot, opération effectuée au bistouri sans perte de matière. Cette découpe suit la ligne de flottaison et sépare la mer en trois morceaux : bâbord, tribord et sous la coque, partie qui n’a que l’épaisseur du tulle et de l’ancienne colle. Après remontage des trois éléments collés sur le verre, les joints de raccord suivront la ligne de flottaison et ne seront qu’à peine visible sur quelques millimètres à l’avant et à l’arrière.
Le pavillon privé du Cdt. Charcot collé au grand mât.
La mer... ... "démontée"
Le voilier lui-même n’a heureusement subi que très peu de dommages : un étai détaché, un hauban rompu et un déplacement général du gréement.
Concernant la décoration, J. Guégen a laissé la coque en bois rouge naturel et peint les superstructures aluminium. On peut remarquer aussi l’emploi de perles de couleurs variées ainsi que la présence au grand mât du pavillon emblématique des Pourquoi-Pas ? dont la concession fut accordée en 1892 à Jean-Baptiste Charcot par l’Union des Yachts Français (UYF, ancêtre du Yacht Club de France) pour ses yachts successifs.
Après décollage des superstructures, opération facilitée par la dessiccation de la vieille colle, probablement de poisson, un vernis infiltré entre le bois et la peinture aluminium partiellement écaillée, évite la chute de ces paillettes et permet de manipuler ces roufs sans aggraver leur effritement. Avec le verre neuf, les colles sont la deuxième entorse apportée aux principes en vigueur en restauration d'ancien qui veulent que l'on n'emploie que des produits identiques à l'original. La troisième et dernière entorse concerne la réversibilité : l'on comprendra qu'une fois le voilier dans sa nouvelle bouteille, la réversibilité ....
Rallonge d'un étai Démontage des superstructures
L’étai détaché est recollé au dessus de la vergue du grand hunier dans son trou de passage du grand mât. Tous les étais sont sectionnés au ras du pont et du beaupré et une rallonge aboutée à chacune de leur extrémité. Le système d’origine les faisait pénétrer dans l’écubier tribord - ressemblant ainsi à des haubans de beaupré qui n’existeraient que d’un coté - puis du pont dans l’écubier bâbord à la sortie duquel il était collé et sectionné. Ce système complexe et fragile a été laissé en place, les rallonges des étais passent maintenant simplement, l’une dans la coque, et ressort par l’écubier tribord, les autres dans le beaupré, en double des anciennes parties de ces cordages recollés en place sans obturer les trous. Après avoir vérifié la solidité du restant du gréement, elles permettront d’affaler la mâture puis de la redresser après avoir réintroduit le navire dans le flacon, pour y être encollées à leur tour puis coupées au ras du beaupré. L’absence de voiles rend ces opérations moins délicates.
Le "Pourquoi-Pas ?" centenaire retrouve sa
bouteille.
Cliché Chantal Borrel.
Esquisse, dessin et fabrication du flacon.
La courbe de la sous-face de la mer et la hauteur hors-tout du navire permettent de déterminer le diamètre intérieur du flacon, soit 35 mm. En le passant au travers d’un cercle découpé dans du carton, un espace de 2 mm reste entre la pomme des mâts et la voûte du verre. Une feuille de papier enroulée sans trop serrer autour du navire mâture affalée laisse ainsi le millimètre de marge nécessaire en raison de la grande fragilité des cordages et donnera celui du goulot, soit 15 mm. Un galbe de 1 mm. situé au tiers avant permet d’atténuer l’impression de rigidité qu’offre un cylindre parfait, de même qu’un cul très légèrement pénétrant sera préféré à un cul plat. Un petit col renforcera l’extrémité du goulot.
Yves Borrel, deux fois meilleur ouvrier de France en verre scientifique et artistique, travaille au chalumeau à partir de tube extrudé de verre pyrex (borosilicate) plus résistant, utilisé entre autres pour confectionner le matériel de laboratoire. Il reproduira le plan au millimètre près, la forme obtenue puis la recuira au four à environ 550°C afin de réduire les tensions - sources de fragilité - qui pourraient résulter des différences de températures auxquelles le verre est soumis lors du façonnage. Etonnante destinée : partie du Havre à bord du Pourquoi-pas ?, revenue du bout du monde, la bouteille brisée est refaite… rue du Commandant Charcot à Paimpol où se trouve l’atelier du souffleur.
Cliché Chantal Borrel.
Ce nouveau flacon d’aspect un peu trop neuf recevra de très légères traces d’usage effectuées à la toile émeri.
Remontage du navire
Les côtés bâbord et tribord de la mer sont réintroduits, ajustés et encollés aux extrémités, puis la partie centrale de tulle remise au milieu. La colle vinylique la recouvre et la traverse pour adhérer à la fois au verre et à la coque réintroduite aussitôt. Ainsi, l’ensemble une fois sec ne bougera plus.
Assemblage des deux moitiés de mer
Le Pourquoi-Pas ? réintègre son flacon
La suite des opérations reprend la méthode traditionnelle : redressement des mâts par tension et encollage des étais, sectionnement des rallonges, positionnement des emplantures, mise en place des différents roufs en commençant par la poupe, orientation des vergues, recollage du pavillon, et nettoyage. Les mâts, simplement posés sur le pont sans la présence d’un trou borgne de centrage, pouvaient facilement se déplacer en cas de choc, la fragilité des cordages ne permettant plus de les tendre trop fortement. Un très léger point de colle vinylique diluée les bloque désormais. Malgré les précautions, un étai et un bras de vergue rompus au cours des opérations devront être aboutés.
Opération assez délicate qui nécessite l’aboutement par contact instantané des deux extrémités enduites d’une minuscule pointe de colle néoprène, puis de la pose de part et d’autre à la colle blanche d’une fine «éclisse» de renfort de trois millimètres constituée d’un brin de cordage décommis (en l’occurrence du fil de lin).
Mise en placee d'un rouf
Cliché Brigitte Thomas
Un discret ber neuf en poirier, collé sous le flacon par deux joints de silicone souple permet de réduire les risques d’une nouvelle chute, assemblage parfaitement réversible, un coup de bistouri peut le sectionner et l’ôter facilement du verre.
Le «tout petit bateau» peut retrouver sa place dans la maison familiale de Neuilly, véritable musée des Sciences et des Arts.
Sauf mentions contraires, clichés G.Aubry.
Une autre pièce exceptionnelle : le Pourquoi-Pas ?, modèle réalisé par Jean de La Varende, écrivain (Nez de cuir, La Navigation Sentimentale...) et maquettiste passionné, membre de l'Académie de Marine.
Remerciements à Anne-Marie Vallin-Charcot et à Serge Lambert.
(*) Port-Circoncision est dénommé ainsi par Charcot en hommage au navigateur français Bouvet de Lozier, qui a découvert le 1er janvier 1739 à l’est de la péninsule Antarctique un cap qu’il a baptisé Cap-Circoncision. Serge Khan J.B. Charcot explorateur des mers, navigateur des pôles.
Cap-Circoncision se situe sur l’île norvégienne Bouvetøya (Bouvet) à mi-distance entre les Îles Sandwich du Sud et le Cap de Bonne Espérance.
Bibliographie :
- Le Pourquoi-Pas ? dans l'Antarctique (1908-1910). Jean-Baptiste Charcot, Editions Arthaud.
- Jean-Baptiste Charcot. Explorateur des mers, navigateur des pôles. Serge Kahn, Editions Glénat.
Article paru dans le Bulletin de l'Association des Amis du Pourquoi-Pas ? et du Commandant Charcot et dans Rose des Vents, bulletin de l'Association Bateaux en Bouteille.